Une science plus ouverte

Le mouvement de l’open science veut changer la manière de faire la recherche. Collaborer, partager ses données et rendre ses publications accessibles doit permettre à la science de devenir plus transparente.

Plus d’un million d’articles de recherche publiés chaque année : la production scientifique croît de manière exponentielle depuis des décennies, sans donner signe de ralentir. Mais cette connaissance massive ne s’avère ni toujours fiable, ni accessible au plus grand nombre.

De nombreux observateurs du monde de la recherche – dont le Fonds national suisse – font le même diagnostic : la science doit s’ouvrir pour devenir plus transparente, efficace et accessible. Les publications devraient notamment être accessibles gratuitement et sans délai (« open access ») et les résultats bruts devraient être partagés, réutilisés et contrôlés (« open data »), deux concepts au coeur de l’open science. Ce nouveau paradigme veut redéfinir en profondeur la manière de mener des études scientifiques, depuis la récolte des données jusqu’à la diffusion des résultats en passant par leur interprétation (voir l’infographie « Les composants de l’open science »).

L’idée de base est de favoriser le partage et la transparence : les données expérimentales seraient mises à jour en ligne et consultables par tous ; leur interprétation se ferait à travers des blogs et des documents partagés ; l’évaluation de la qualité d’un article (le « peer review ») ne se ferait plus de manière anonyme par une poignée d’experts, mais par de nombreux contributeurs. Et surtout, les publications en libre accès accompagnées des données brutes permettraient de vérifier et réutiliser les travaux d’autres groupes de recherche. L’objectif : une science plus fiable et efficace, qui évite les doublons et diffuse rapidement ses résultats.

Les composants de l’open science

Changer le système

L’essor de cette science ouverte se heurte encore à de nombreuses incitations en vigueur dans le monde académique : développer sa carrière de chercheur exige de publier beaucoup et rapidement, dans des journaux renommés qui souvent ne sont pas en libre accès. Partager ses données de recherche exige d’investir du temps et de l’argent, notamment pour entretenir les bases de données des années après la publication des résultats. Et si les chercheurs disent être en faveur de l’open science, ils expriment également leur crainte de voir leurs données critiquées par leurs collègues ou utilisées par des concurrents pour publier avant eux. Le partage de données issues de partenariats avec l’industrie soulève des questions de propriété intellectuelle. « En principe, tous les chercheurs désirent l’open science, note Aysim Yılmaz, responsable de la division biologie et médecine du Secrétariat du FNS et en charge de l’open science. Mais pour l’implémenter, il faut qu’ils y voient également leur propre intérêt. »

Ces difficultés n’empêchent pas l’open science de se développer, notamment par la base : des chercheurs collaborent en ligne et mettent à disposition leurs données dans des domaines aussi variés que la physique des particules, la génomique ou encore les humanités numériques. D’autres lancent de nouveaux outils de partage, d’évaluation ou de publication. Les acteurs de la politique de la recherche ont eux aussi un rôle crucial à jouer dans cette transformation, notamment les organes de financement tels que le FNS qui peuvent décider des conditions-cadres dans lesquelles la recherche doit s’effectuer. Par exemple, le FNS exige déjà de mettre à disposition les publications issues de recherches qu’il a financées (voir l’article sur l’Open access). Aujourd’hui encore une exception, le partage des données et des publications devrait devenir la norme à moyen terme. Un point important pour y parvenir sera d’évaluer non seulement les publications mais aussi la qualité des données produites.

Une nouvelle culture

Le mouvement est international : la Ligue européenne des universités de recherche (LERU) et l’Union européenne ont lancé des programmes pour analyser les questions soulevées par l’open science et développer son essor. Les acteurs de la recherche tels que l’OMS (qui a notamment voulu réagir à la crise de l’Ebola) ou les Instituts Nationaux de la Santé aux Etats-Unis ont défini des cadres pour l’open science. Et certaines agences de financement (notamment en Norvège et aux Pays-Bas) ont commencé à exiger l’open access et l’open data pour certains programmes. Un cadre universel n’est pas souhaitable, car chaque domaine de recherche possède une culture spécifique et ses propres défis, comme la manière de définir ce qui constitue une donnée ou de régler les questions de confidentialité. Les solutions devront se développer branche par branche, et sans générer de bureaucratie supplémentaire, ni pour les chercheurs, ni pour les institutions. Le succès de l’open science passera forcément par un changement de mentalité au sein de la communauté scientifique, avec notamment l’arrivée de nouvelles générations plus ouvertes aux nouvelles possibilités de collaborer.

Glossaire de l’open science

Science citoyenne -> recherches menées par des non-scientifiques
Open access -> articles scientifiques libres d’accès (sans paywall)
Annotation collaborative -> données de recherche (génome, édition, etc.) pouvant être commentées et complétées
Open data -> résultats bruts d’une recherche mis à disposition des autres chercheurs
Open lab books -> cahiers de laboratoires mis en ligne et ouverts à la discussion
Open peer review -> expertise par les pairs (peer review) non anonyme et publique d’un article avant sa publication ou lors de l’évaluation d’un financement
Open source -> software et hardware librement réutilisables et transformables
Pre­-registration -> annonce à l’avance d’un plan de recherche (pour exclure les modifications faites a posteriori)
Vérification -> reproduction ou invalidation d’anciens résultats
Text & data mining -> utilisation d’algorithmes pour découvrir de nouveaux résultats dans des données existantes